123 – DANS UN SEPULCRE NEUF

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Pilate – C’est bien. Dis à ces maudits prêtres de passer, bon sang ! Même pendant la sieste, ils ne nous laissent pas dormir !

Un prêtre – Gouverneur Pilate, il est presque neuf heures. D’ici peu, l’étoile du soir va annoncer que nous entrons dans le Grand Sabbat.

Pilate – Ah bon ! Qu’est-ce que ça peut me faire cette étoile ! Depuis ce matin, il n’a pas cessé de pleuvoir. Le ciel est bouché comme une tombe et vous pensez que vous allez voir une étoile !

Le prêtre – Vous avez raison, votre Excellence. Même comme ça, il n’y a plus que quelques heures avant le Grand Sabbat de la Pâque.

Pilate – On me l’a déjà dit. Qu’est-ce que vous voulez ?

Le prêtre – Il s’agit de trois rebelles qui sont crucifiés sur le Golgotha, Gouverneur. On ne peut pas les laisser là jusqu’au début de la fête. La coutume l’interdit. Ce serait une grave impureté.

Pilate – Alors, où voulez-vous les mettre ?

Le prêtre – Dans la fosse, Excellence. Sous terre. Morts et enterrés.

Pilate – On ne m’a toujours pas dit qu’ils étaient morts.

Le prêtre – Non, bien sûr, mais, on pourrait peut-être épargner à ces maudits une longue agonie ? Enfin, ils ont bien purgé toutes leurs rébellions.

Jésus était mort autour de trois heures de l’après-midi. Dimas et Gestas, les deux rebelles zélotes qui avaient été crucifiés avec lui, se tordaient toujours de douleur, cloués sur leurs croix. Leurs corps, moins torturés que celui de Jésus, résistaient plus longtemps au supplice. Près d’eux, les mères des deux révolutionnaires attendaient la mort, les yeux rougis. Près du madrier où pendait le cadavre encore chaud de Jésus, les femmes et moi, assis sur la terre mouillée, nous étions appuyés les uns sur les autres et nous pleurions.

María – Jean, mon garçon, qu’est-ce qu’ils vont faire de Jésus, maintenant ?

Jean – Je ne sais pas, María, je ne sais pas… je ne sais rien du tout.

Madeleine – Ecoute, María, ou je ne m’appelle plus Madeleine ou je peux te dire qu’on ne mettra pas le Brunet dans cette fosse. Nous l’enterrerons comme un grand monsieur !

María – Mais, ma fille, si nous autres ici, nous n’avons pas le moindre lopin de terre pour une sépulture, pas même quelques deniers pour acheter un linceul décent, je ne sais pas ce que nous allons faire.

La colline du Golgotha était semée de pieux de croix imbibés de sang. Autour, creusées dans la roche pelée, il y avait plusieurs fosses profondes où l’on jetait les corps des suppliciés.

Jean – Je ne sais pas… On pourrait peut-être en parler à Nicodème. Il était ami de Jésus. Nous l’avons vu, ici, à Jérusalem, avant l’histoire du temple. C’est un type très influent. Si ce maudit Pilate lui donnait le corps, nous pourrions l’enterrer ailleurs…

Madeleine – Oui, Jean, c’est ça, c’est ça ! Surtout qu’on ne le mette pas dans la fosse, grand Dieu !

Collés aux remparts, sans oser faire un pas pour s’approcher, il y avait Pierre, André et quelques autres du groupe. Depuis la mort de Jésus, il était resté très peu de monde dans le coin du Golgotha. Il n’y avait plus que quelques heures avant le début du Grand Sabbat de la Pâque, et beaucoup, fatigués, après un jour de pluie si long et si triste, retournèrent en ville pour s’enfermer chez eux.

Tulio – Eh, toi, sont-ils morts, ceux-là ?

Un soldat – Le Nazaréen, oui. Les deux autres, pas encore. Tu vois bien !

Trois soldats apparurent par la Porte d’Ephraïm, munis de gourdins et de lances. A grandes enjambées, ils montèrent par les rochers pelés de la colline.

Tulio – Il faut faire vite. Ce sont les ordres du Gouverneur. La fête des Juifs commence dès le coucher du soleil et ils ne peuvent pas rester là.

Un soldat – Qu’est-ce qu’on fait ?

Tulio – On va leur casser les jambes à ces deux-là, ça les fera mourir aussitôt.

Un soldat – Bien pensé, bigre ! J’en ai marre de cette pluie et de toutes ces larmes ! Pour ce qu’on nous paie !

Tulio – Allez, les femmes, partez, éloignez-vous des croix !

Plusieurs femmes – Assassins ! Assassins !

Tulio – Je vous dis de déguerpir d’ici, allez !

Deux soldats s’approchèrent des croix où Dimas et Gestas luttaient contre la mort et, saisissant de gros gourdins, ils les frappèrent violemment une ou deux fois sur les genoux et les jambes, leur fracassant les os.

Une femme – Qu’on en finisse avec cet enfer, grand Dieu ! Qu’on en finisse, vite !

La mort ne tarda pas à arriver. Les corps de ces deux garçons, en perdant l’appui qu’ils avaient sur leurs jambes, s’effondrèrent les étouffant très vite. Leur tête resta contractée par l’horrible douleur de l’ultime moment.

Tulio – Et l’autre, c’est sûr qu’il est mort ?

Un soldat – Oui, il a poussé un cri et il s’est raidi il y a déjà un moment.

Tulio – C’est bizarre. Il est mort rapidement alors.

Un soldat – Vu l’état où il était en arrivant, il a pas mal duré. Ce n’était plus qu’une loque.

María – S’il vous plaît, ne lui faites rien de plus… C’est vrai qu’il est mort.

Tulio – Ecartez-vous, allez. Il est mort, il faut vérifier. Ce sont les ordres.

Madeleine – Bon sang ! Mais laissez-le reposer en paix, une fois pour toutes !

Tulio – Allez, la pute, j’ai dit, oust !

Un des soldats saisit fortement la lance qu’il avait apportée et la dirigea vers le cadavre de Jésus. D’un coup assuré, il lui traversa le cœur. Les dernières gouttes de sang qui restaient encore dans ce corps détruit, coulèrent lentement sur sa poitrine.

Tulio – Maintenant oui. C’est fini. Drôle de jour aujourd’hui !

Le soldat sortit sa lance et avec le bout de son vieux manteau rouge il nettoya le sang de la pointe.

Un soldat – Tu sais, Tulio, Ce type, je ne sais pas… J’ai toujours dit que c’est dans la mort qu’on connaît vraiment les gens. Celui-là était un homme bon. Pour moi, il était innocent.

Tulio – Bon, es-tu vraiment cohérent ? Tu n’as pas gardé ses vêtements ? Allez, laisse tomber ces sensibleries. Qu’on les décloue rapidement et qu’on les jette vite dans la fosse. Nous, nous devons retourner à la caserne rendre compte au Gouverneur. On se reverra là-bas ! On dit que, ce soir, il va y avoir du bon vin à dîner !

Un soldat – Dis donc, toi, on va descendre ces gars-là !

María – Jean, mon garçon, cours vite chercher ce monsieur Nicodème. Il va peut-être obtenir quelque chose.

Madeleine – Je vais avec toi, Jean !

Jean – Non, Madeleine, restez ici vous ! Je vais faire vite !

Jean alla chercher le magistrat Nicodème dans sa luxueuse maison des beaux quartiers…

Jean – Enfin, je vous trouve, Nicodème.

Nicodème – Je sais bien qu’il est mort, je le sais. Je l’ai vu des remparts. Cela fait un moment que je tourne en rond comme un imbécile. Misère de misère ! Pourquoi n’avons-nous pas pu empêcher cela ?

Jean – Maintenant, nous avons besoin de votre aide, Nicodème. Il s’agit du corps de Jésus.

Et Nicodème alla rapidement chercher son collègue, Joseph d’Arimathie…

Nicodème – Joseph, les amis du Nazaréen ont besoin de nous. Tu as tes entrées auprès du Gouverneur. Il connaît bien ta femme, non ? Eh bien, va le voir et dis-lui de te remettre le corps pour que nous l’enterrions comme il faut.

Arimathie – Ne t’en fais pas, Nicodème, je vais aller voir Pilate tout de suite.

Joseph d’Arimathie arriva à la Tour Antonia en même temps que les soldats…

Pilate – Mais, comment ça, cet homme est déjà mort ?

Un soldat – Oui, Gouverneur. Il est tout aussi mort que je suis là, debout. Je lui ai percé le cœur d’un coup de lance.

Pilate – C’est bien, tu peux disposer.

Le soldat – A vos ordres, Gouverneur.

Pilate – Tiens, Joseph d’Arimathie. Depuis quand fais-tu partie de ceux qui suivaient ce fou de prophète ?

Arimathie – C’est nous les fous qui n’avons pas su le défendre.

Pilate – Quoi ? Des remords ? Bon, rassure-toi, voyons, ce n’est pas si grave que ça. Que veux-tu ? Le corps ? Eh bien, prends-le. Si ça t’amuse, tu as ma permission.

Arimathie – Donnez-moi l’autorisation écrite, Gouverneur.

Dans les rues de Jérusalem, on ne parlait que de ce qui s’était produit au Golgotha. A cette heure-là de l’après-midi, la pluie commençait à diminuer et le soleil chauffait timidement les terrasses des maisons. Les gens, le cœur tout triste, essayaient d’enfouir tout cela dans l’oubli et faisaient les préparatifs de la fête pour le grand repos sabbatique.

Nicodème – Il ne manquerait plus que ça ! Ne t’en fais pas pour le prix, Jean, ni pour le lieu. J’en ai parlé à mon collègue Joseph, vous pourrez l’enterrer dans un tombeau neuf. Il l’avait réservé pour sa famille et c’est tout près d’ici. Va, retourne avec les femmes, ne les laisse pas seules. J’arrive tout de suite avec tout ce qu’il faut. Ils vont bientôt fermer les boutiques et il faut faire vite.

Quand je revins à la colline du Golgotha, ils avaient déjà détaché Jésus et un des Zélotes et ils étaient en train de descendre le deuxième. Le corps de Jésus, les bras étendus, gardait la forme de la croix et reposait par terre, sur le manteau de María qui le regardait en silence, accroupie près de lui. Les femmes, debout, pleuraient et se mordaient les lèvres. Matthieu et quelques autres s’étaient approchés, luttant contre la peur. Aucun ne reconnaissait dans ce visage complètement défiguré, couvert de croûtes de sang, les traits de notre compagnon tant aimé.

Pierre – C’est un cauchemar, Jean, c’est un cauchemar.

Jean – Viens, Pierre, nous allons parler aux soldats. Nous avons l’autorisation de l’enterrer ici, tout près.

Pendant que Pierre et moi, nous parlions au centurion, lui montrant le sauf-conduit, María reposa la tête blessée de Jésus sur ses genoux et, avec son foulard imbibé de pluie, commença à le nettoyer…

María – Tu n’es plus le même, Jésus. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait, mon enfant… Tu vois bien, moi, j’avais peur. Quand tu es parti à Capharnaüm, je te l’ai dit : Ne te mêle pas de ça, mon fils. Tu ne m’as pas écoutée et tu m’as presque traînée derrière toi. Tu me disais : Maman, toi aussi tu as lutté, toi aussi tu as été courageuse. Non, mon fils, non. Toi, oui, tu as été courageux. Jusqu’au bout, mon Jésus, jusqu’au bout… comme ton père… Si Joseph t’avait vu… Je crois l’entendre : Je voudrais que notre garçon devienne un homme droit, qu’il s’engage pour les autres. C’est cela qu’on doit lui enseigner, c’est ce que Dieu veut de lui. Tu as bien appris, mon garçon, tu as bien appris. Maintenant, je vais devoir retourner à Nazareth, travailler la terre, aller puiser de l’eau, attraper des ampoules aux mains… “María, voilà ton fils qui vient te voir !”. Non, tu ne reviendras plus, mon fils… Tu ne reviendras plus jamais. Que vais-je faire, moi, sans Joseph et sans toi ? Pourquoi ne m’as-tu pas écoutée, mon garçon ? Jérusalem n’est pas une bonne ville, ne va pas à Jérusalem. J’avais très peur, tu le sais bien. Mais je suis fière de toi, de tout ce que tu as fait. Je retournais tout ça dans mon cœur, quand tu étais loin, à Capharnaüm. Oui, mon garçon, moi aussi je crois que Dieu donne son Royaume en cadeau aux pauvres, à ceux qui pleurent. Je n’en peux plus, mon enfant, je n’en peux plus… mon petit…

Jean – On y va, María, il se fait tard.

Pas le temps de bien laver le corps de Jésus, nous l’embaumâmes rapidement avec un mélange de parfums de myrrhe et d’aloès que Nicodème avait apportés, selon la coutume de mes compatriotes d’enterrer leurs morts. Puis, nous l’enveloppâmes dans un grand linceul, un linceul de fine toile que Joseph d’Arimathie avait acheté. Personne ne parlait. Nous étions pressés et très tristes. La pluie avait cessé et un petit vent frais gonflait nos tuniques trempées. Pierre et moi, nous transportâmes le corps de Jésus. Tout près de la colline du Golgotha, il y avait un jardin et c’est là que Joseph d’Arimathie avait un tombeau neuf où personne n’avait encore été enterré. Dans cette profonde grotte, creusée dans le roc, nous plaçâmes le cadavre de Jésus. Nous fermâmes l’entrée avec une pierre ronde, grande comme une roue.

Jean – Allons-nous-en, María. Le Sabbat commence.

María appuya son front contre cette dalle humide pendant quelques instants. Puis, elle chercha mon bras pour ne pas glisser et se mit en route. Nous revînmes à Jérusalem. Le soir s’éteignait sur les remparts et les trompettes du temple annonçaient l’entrée dans le repos du Grand Sabbat.

Matthieu 27,51-61, Marc 15,38-47; Luc 23,47-56; Jean 19,31-42.

Commentaires :

Certains crucifiés restaient pendus au gibet pendant des jours entiers, dans une agonie interminable. Les lois romaines avaient prévu d’accélérer la mort en fracturant les os des jambes à coups de bâton. Le déchirement qui se produisait dans tout le corps provoquait l’asphyxie finale. Aux zélotes crucifiés avec Jésus, on a appliqué cette méthode brutale. Dans le cas de Jésus, ce ne fut pas nécessaire de rompre les os parce qu’il était mort très vite. La lance avec laquelle le soldat romain lui traversa le cœur cherchait à s’assurer qu’il était vraiment mort. Comme le coup de grâce.

Pour les Israélites la meilleure marque d’affection pour le défunt était un enterrement digne. Celui de Jésus, dans les circonstances, a dû se contenter du minimum requis traditionnel. Les cadavres étaient lavés, embaumés et habillés de leurs meilleurs vêtements. Au temps de Jésus, les rabbins avaient demandé qu’on les habille de blanc. L’évangile dit que le cadavre de Jésus fut embaumé avec un mélange de myrrhe et d’aloès. La myrrhe était une résine aromatique de grande valeur, qu’on utilisait aussi pour oindre les époux lors de leurs noces, et l’aloès, une essence odoriférante obtenue à partir de la sève de certains arbres de l’Inde. On employait l’aloès pour donner une bonne odeur aux linges de lit, aux vêtements et aux suaires. Comme linceul on utilisait un drap ou un tissu en forme de bandes, bien qu’on ne sache pas exactement comment on les mettait sur le corps des défunts. Certains disent que le visage était couvert par une toile et qu’on bandait les mains et les pieds.

Depuis des temps très anciens, Israël a enterra ses morts dans des grottes naturelles pour ne pas perdre de terrain cultivable. Les pauvres de Jérusalem étaient enterrés dans des fosses communes dans le torrent du Cédron. Jésus fut mis dans une tombe privée, dans un sépulcre neuf, acheté par Joseph d’Arimathie pour sa famille et dans laquelle personne n’avait encore été enseveli. Profitant de la concavité de la roche, on arrangeait le lieu en forme de chambre avec une ou plusieurs tables de pierre pour placer les cadavres. Parfois, on creusait des niches le long des murs. Dans bien des cas, comme lors de la sépulture de Jésus, cette chambre ou chambre funéraire était précédée d’une antichambre ou d’un couloir. Parfois, les cadavres étaient introduits dans les chambres mortuaires dans un cercueil, mais ce n’était pas très habituel. L’entrée de la tombe se fermait par une lourde pierre ronde qui tournait comme une roue et qu’on enduisait de chaux en signe d’impureté à cause de la présence d’un cadavre.

Sainte Hélène, mère de l’empereur romain Constantin, ordonna de creuser la zone de Jérusalem où se trouvait le Calvaire et on découvrit le lieu exact. Ce qu’on appelle “les Lieux Saints” devinrent alors centre de pèlerinage pour les chrétiens de beaucoup de pays voisins. Ceci se passa quelques trois cents ans après la mort de Jésus. Les “Saints Lieux” furent aussi prétextes à des guerres cruelles. Quelques mille cents ans après la mort de Jésus ils étaient aux mains des musulmans. Des hommes de toute l’Europe chrétienne s’enrôlèrent dans des guerres appelées “Croisées” pour récupérer les “Lieux Saints”. Les Croisées durèrent, par intervalles, deux cents ans et eurent plus de motifs économiques et politiques que religieux. Elles n’obtinrent pas leur objectif de sauver le Saint-Sépulcre. Le plus grave est qu’au nom de la croix de Jésus on commit des destructions et des crimes de tout genre contre les Arabes, qui usèrent eux aussi de beaucoup de violence contre les chrétiens.

Jésus mourut le vendredi de la semaine de Pâque, qui était pour les Juifs, “jour de préparation”, puisque le lendemain, samedi, on ne pouvait pas travailler. C’était le jour du repos imposé par la loi. Comme c’était le Grand Sabbat de Pâque, c’était encore plus solennel que les autres sabbats de l’année. Le Grand Sabbat commençait à la tombée du jour et dès que les étoiles apparaissaient dans le ciel. Les cadavres des suppliciés étaient impurs et, selon la loi, ne devaient pas tacher par leur présence la fête de ce jour-là. Ceci explique la rapidité de l’exécution de Jésus et l’urgence avec laquelle dut s’effectuer son enterrement.