144 – TOUS LES LIVRES DU MONDE N’Y SUFFIRAIENT PAS

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En peu de temps, les groupes de ceux qui voulaient suivre le chemin de Jésus s’étendirent dans tous les quartiers de Jérusalem et dans d’autres villes de notre pays. Et même à ceux qui n’avaient pas connu Jésus, la bonne nouvelle du Royaume arrivait. Bon, vous savez bien que le bouche à oreille ne fonctionne pas toujours bien.

Marc – Pierre ! Pierre !

Pierre – Que se passe-t-il encore, Marc ?

Marc – Ecoute, Pierre, est-ce vrai que Jésus a dit : “Heureux ceux qui ont de la patience, même s’ils n’obtiennent rien” ?

Pierre – Comment dis-tu ?

Marc – Est-ce que Jésus a dit : “D’abord la patience et deuxièmement la patience.”

Pierre – Mais, où as-tu vu ça, Marc, c’est de l’invention.

Marc – Ce n’est pas moi, la Fronde. Ce sont les groupes d’Ophel. Ils disent que le Brunet répétait toujours : “Paix et patience ! Paix et patience !”

Pierre – Mais, ils sont fous ? Qui a dit cette bêtise ?

Marc – Toi.

Pierre – Moi ?

Marc – Ils disent que c’est toi qui leur as appris ça.

Pierre – Mais, comment ça peut être moi, bougre d’âne, ça fait quatre mois que je n’ai pas fourré le nez dans ce groupe ?

Marc – Eh bien, c’est précisément pour ça. Personne ne les oriente et voilà comment vont les choses. Tu sais aussi ce qu’ils disent ? Que lorsque Jésus était pendu à la croix, il t’a fait un clin d’œil et t’a dit : “Ne t’inquiète pas, on se reverra dimanche !”

Pierre – Mais, qu’est-ce que c’est que toutes ces bêtises ? Je vais aller de ce pas leur parler. Ouf, je n’en peux plus ! Je n’ai plus de salive. J’ai passé mon temps à courir ici ou là… Bigre de bigre, que j’étais tranquille à Capharnaüm avec ma barque et mes filets !

Telle était notre vie les premières années. Pierre, Philippe, André le freluquet et nous tous qui avions marché avec Jésus depuis son baptême au Jourdain jusqu’au jour où Dieu l’avait ressuscité, nous nous réunissions par groupes et nous racontions tout ce que nous avions vécu avec lui.

Pierre – Dis-donc, Marc, qu’est-ce que tu fais avec tous ces roseaux et ces papiers ?

Marc – J’apprends à écrire, Pierre.

Pierre – A écrire ? Et pourquoi veux-tu savoir déchiffrer à ton âge ?

Marc – Parce qu’au rythme où nous allons… Tu sais, la dernière qui est arrivée à ceux du quartier de Sion ? Ils disent que lorsque Jésus était bébé, il ne tétait pas le sein gauche… pour faire pénitence !

Pierre – A-t-on vu une chose pareille !

Marc – Sois tranquille, Pierre. J’ai pris une décision. Je vais mettre par écrit ce qu’a dit Jésus et ce qu’il a fait. Par écrit, tu comprends ? Comme ça, nos petits-enfants auront quelque chose de sûr entre les mains. Qu’est-ce que tu penses de mon idée ?

Pierre – Je ne sais pas, Marc, c’est très difficile. Il y a des choses que les yeux ne voient pas et que les oreilles n’entendent pas et qu’il faudrait aussi raconter. Ce que Jésus a été est tellement grand qu’il faudrait plus d’un livre pour le raconter.

Marc – Et ça dépasse encore plus ce qui est sur la langue d’une poignée d’hommes. Il faut y porter remède, Pierre. Les paroles s’envolent au vent, les écrits restent.

Pierre – C’est bien. Commence alors à écrire. Je te raconterai tout en détails.

Marc – Mais, toi, n’exagère rien. On se connaît suffisamment, hein ?

Pierre – Ah bon ? Tu n’as pas confiance en moi ?

Marc – Mais si, j’ai confiance. Mais j’ai confiance aussi en Philippe et Nathanaël et dans la grand-mère Rufa, elle a plus de mémoire que Salomon et elle se souvient de tout ce qui s’est passé.

Pierre – Eh bien, va à Capharnaüm et fais ton enquête, puis après, écris tout ce que tu voudras. Bon, tout, peut-être pas…

Marc – Comment pas tout… ?

Pierre – Je veux dire qu’il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être dites. Par exemple… hein, qu’est-ce que tu vas dire de moi ?

Marc – De toi ? Eh bien que tu as été un des premiers à entrer dans le groupe et…

Pierre – Tu n’es pas obligé de dire que j’ai failli trois fois, j’ai renié le Brunet… tu me comprends ?

Marc – Il faut bien que je le marque, Pierre.

Pierre – Pourquoi il faut bien mettre ça, hein ?

Marc – Parce que c’est comme ça que ça s’est passé, non ? Je me trompe ?

Pierre – Bon, bon, c’est bien, écris-le si tu veux. Mais, écoute-moi bien, petit fouineur, si tu mets ça, mets aussi que je… que j’ai aimé Jésus autant que ma Rufina. Ce n’est pas peu dire !

Marc – Ne te tracasse pas, Gros Pif. J’en fais mon affaire.

Et Marc, l’ami de Pierre, commença à mettre par écrit la bonne nouvelle du Royaume de Dieu. Ces premières pages allaient de groupe en groupe et beaucoup de frères, qui n’avaient pas connu Jésus en personne, commencèrent à le connaître en entendant les récits de sa vie Ils apprenaient ainsi comment on l’avait tué et comment Dieu l’avait ressuscité des morts.

Quelque temps après, Matthieu, celui qui avait été percepteur d’impôts, et qui avait une expérience de l’encre et des écritures, eut une idée semblable à celle de Marc.

Philippe – Mais, qu’est-ce que tu fais là, enfermé, Ma… Matchum !… tthieu ?

Matthieu – J’étudie, Philippe, j’étudie et j’écris.

Philippe – Bigre, il y en a ici de la poussière ! Atchoum ! Tu vas devenir aussi jaune que ces vieux papiers !

Matthieu – Sur ces parchemins, gros nigaud, je mets les paroles des prophètes et des sages d’Israël. Ecoute, Philippe, écoute ce qu’on dit ici :”Je le vois, mais pas encore. Je l’aperçois, mais pas de près : de Jacob sort une étoile qui se pose sur Israël.” Tu te rends compte ?

Philippe – Oui, oui… bon, je ne me rends compte de rien.

Matthieu – L’étoile, Philippe, qu’a vu le prophète Balaam il y a mille ans, c’était le Messie. Et le Messie, c’était Jésus. Comprends-tu maintenant ?

Philippe – Non, pas grand-chose, mais…

Matthieu – Ecoute une autre parole : “Les rois de toutes les nations viendront à toi, une caravane d’or et d’encens.” Hein, qu’est-ce que tu me dis de ça ?

Philippe – Je ne sais pas où tu veux en venir.

Matthieu – A la grotte de Bethléem. Quand Jésus est né, là-bas, à Bethléem, une étoile a brillé dans le ciel et elle a guidé les rois d’Orient qui venaient rendre hommage au Messie d’Israël.

Philippe – J’ai beau me rappeler, María a dit que seuls quelques bergers sont venus, et je n’ai pas l’impression qu’ils avaient une odeur d’encens !

Matthieu – Tu n’es pas très poète, l’ami !

Philippe – Toi, tu as trop d’imagination.

Matthieu – Non, Philippe. Nos prophètes ont écrit sur Jésus. Toutes les prophéties d’avant se sont réalisées au milieu de nous.

Philippe – Non, non, tu es en train de tricher, Matthieu. Tu sais bien qu’aucun roi d’orient n’est venu, qu’il n’y a rien eu de tout ça.

Matthieu – Non, les tricheries, je les ai faites avant, quand j’étais percepteur d’impôts à la douane de Capharnaüm. Mais pas maintenant.

Philippe – Bon, mais enfin, cette histoire d’étoile, tu sais bien que ce n’est pas vrai.

Matthieu – La vérité, c’est comme une échelle. Et toi, tu restes au premier barreau.

Philippe – Et tu as monté combien de barreaux, toi, hein ?

Matthieu – Je ne sais pas, Philippe, mais je pense que la vérité la plus vraie est derrière les mots. Et c’est ça que je veux écrire. Ecoute, peut-être qu’avec mes récits beaucoup connaîtront Jésus et seront encouragés à lutter comme lui. Ils se sentiront comme une étoile qui brille au milieu de la nuit. Tu veux une vérité plus vraie que ça ?

Matthieu continua, enfermé dans sa cellule, avec sa plume et les doigts tachés d’encre à force de gratter les parchemins. Il écrivait pour nos compatriotes juifs qui mettent tant d’importance aux vieilles prophéties. Il écrivait la bonne nouvelle de Jésus, fils de David, fils d’Abraham.

Très vite après ce début à Jérusalem, les persécutions commencèrent. Les gouvernants, les grands pontes d’Israël, les grands maîtres de la Loi, ne voulaient rien savoir de notre groupe. Il y en avait un parmi eux, un petit bonhomme chauve, qui s’en prenait à nous. Quel type ! Il nous faisait la guerre, nous traînait devant les tribunaux, voulait en finir avec tous les “chrétiens”. C’est comme ça que l’on commença à nous appeler à Antioche, des “chrétiens”, et après, ce petit nom fut employé partout. Cet homme nous rendait la vie impossible. Mais ensuite, Dieu le fit tomber de son cheval et lui ouvrit les yeux, alors, ce Paul, c’était son nom, mit toute son énergie au service de l’évangile de Jésus.

Pierre – Mais, Paul, comprends donc, il nous faut avancer tranquillement.

Paul – Tranquillement, tranquillement, et quoi ? Le Royaume de Dieu est pressé ! Ouvrez les yeux, bon sang ! Vous êtes là à travailler avec des petits groupes de Juifs têtus et, là-bas, il y a des milliers de Grecs qui veulent voir Jésus, qui veulent le connaître. Ils se convertissent par grappes ! On les baptise et après, il n’y a personne pour leur montrer le chemin ! Vous ne me croyez pas ? Allez à Ephèse, allez à Thessalonique, à Chypre, à Philippes, à Corinthe, à Athènes ! Le monde est grand, mes amis, et le Christ est plus grand que le monde !

Jean – Dis-moi une chose, Paul. Ces nouveaux chrétiens de tes groupes connaissent la loi de Moïse ? Ils sont circoncis ?

Paul – Allez, le voilà avec son prépuce ! Non, ils ne sont pas circoncis, heureusement !

Pierre – Mais, Paul…

Paul – Mais rien ! Il est grand temps de casser la coque et de sortir ! Jérusalem n’est quand même pas le nombril du monde !

Jean – Rome non plus !

Paul – Bien sûr que non ! Le monde est plus grand que tout ça ! Et nous devons semer la semence de Jésus dans tous les sillons ! L’évangile est pour tous, comprenez-vous ? Pour ceux qui sont proches comme pour ceux qui sont loin, pour les Juifs comme pour les Grecs !

Pierre – C’est bien, Paul, c’est bien, mais calme-toi, de grâce !

Paul – Non, Pierre, je ne veux pas me calmer ! Au contraire, savez-vous ce que je vais faire ? Je vais aller voir un de mes amis qui s’y connaît en écritures et je vais lui demander d’écrire les paroles de Jésus, mais qu’il les écrive en grec pour les Grecs qui les liront. Il faut qu’il écrive l’évangile pour que ceux qui n’ont rien à voir avec Moïse mais aiment Dieu, puissent le trouver.

Et Luc, ce médecin, jeune ami de Paul, nouvellement converti à notre foi, après avoir parlé avec nous tous et avoir récolté un tas de documents, ici et là, se mit à écrire son livre pour que les païens aussi puissent entendre et lire la Bonne Nouvelle de Jésus.

Luc – “D’autres avant moi ont écrit ces choses telles que nous les avons entendues de la bouche des premiers témoins. Moi aussi, après avoir cherché soigneusement, je me suis décidé à écrire pour toi, qui aimes Dieu et qui le cherches…”

Beaucoup d’années passèrent. J’étais alors dans la ville d’Ephèse. Il y avait là un groupe de chrétiens assez combatifs. Nous nous réunissions pour partager le pain, pour partager le contenu de nos poches et pour aller ouvrir les yeux des gens. On me demanda, à moi aussi, de raconter des choses sur Jésus, comment il était, comment il parlait. On me demandait, à moi et à María, sa mère, qui depuis plusieurs années, vivait avec moi, là-bas. Elle était bien vieille, María… Elle devait avoir autour de quatre-vingts ans.

María – Jean, mon enfant, pourquoi tant de vacarme dehors ?

Jean – Il n’y a pas de vacarme, María.

María – Alors, ce sont mes oreilles qui bourdonnent.

Jean – Tu es comme les escargots de mer. Quand on les sort de l’eau, on entend encore le bruit des vagues. Tu es là, María, en Grèce, mais ton cœur est toujours là-bas, autour de la mer de Galilée, à Capharnaüm, ou dans ton petit village de Nazareth.

María – Ah ! Jean, mon enfant ! Que veux-tu ? Ce sont tant de souvenirs !

Jean – Tiens, à propos de souvenirs, sais-tu ce qu’on m’a demandé dans la communauté ? Que j’écrive. Ils disent que sinon, les choses que Jésus a faites finiront par s’oublier.

María – Moi, je m’en souviens comme si c’était hier.

Jean – Oui, María, toi, oui. Mais eux, non. Ils n’ont pas connu ton fils. Et ils posent des questions, ils veulent savoir. En plus, quand nous ne serons plus là, qui va leur dire ce qui s’est passé ?

María – Là oui, tu as raison, Jean, parce que j’ai déjà un pied de l’autre côté. Ecoute, j’ai comme une douleur plantée là dans le dos…

Jean – Alors, tu vas m’aider ?

María – T’aider à quoi, Jean ?

Jean – A écrire ce que Jésus a vécu.

María – Ah, mon enfant, mais j’en suis à ne même plus savoir comment je m’appelle ! Ma tête, ma tête !

Jean – Mais, María, tu viens de me dire que tu te souvenais de tout ?

María – Tu sais, nous les vieux, nous disons des choses… Allez, commence, toi, Jean, commence à écrire et, après, tu me raconteras.

Avec ceux de la communauté, nous nous réunissions pour prier et penser ensemble. Et peu à peu, nous mîmes par écrit notre foi en Jésus.

Jean – Allez, María, ouvre bien tes oreilles et écoute cela et dis-moi ce que tu en penses ! Voilà la première page.

María – Voyons voir, Jean. Je suis curieuse de savoir ce que vous avez bien pu écrire.

Jean – Ecoute… Hum !… “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Et Lui qui est le Verbe était au commencement avec Dieu. Tout fut fait par lui et sans lui rien ne fut fait de ce qui existe.” Alors ? Qu’en penses-tu ?

María – Répète-moi ça, Jean. J’ai été distraite.

Jean – Ecoute, María : “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu”.

María – Mais de quel verbe me parles-tu, mon garçon ?

Jean – María, le Verbe, c’est ton fils ! Le Verbe, la Parole faite chair, la Plénitude de la Vie ! Tu comprends ?

María – Ah ! Jean, mon enfant, tu ne trouves pas que c’est un peu fort ?

Jean – Je voudrais bien que ce soit encore plus fort, María ! La vie du Brunet a été si grande, si importante, si… Tu sais ce qui m’arrive, María ? Je ne trouve pas les mots pour dire ce qu’il a été.

María – Alors si tu ne les trouves pas, ne les mets pas.

Jean – Ah bon ? Qu’est-ce que je mets alors ? Que Dieu est bon et que nous devons nous aimer beaucoup ? Je vais mettre ça ?

María – Oui, c’est ça. Que faut-il de plus ? Quand tu auras mon âge, Jean, tu n’auras pas besoin de beaucoup de mots, tu verras.

Jean – Non, non, non. Je veux tout écrire ce qui s’est passé, depuis le premier jour là-bas au Jourdain, quand André le freluquet et moi, nous avons connu le Brunet pour la première fois et que nous avons passé l’après-midi entier à parler avec lui et à raconter des blagues. Je veux tout écrire, María, et que tous les hommes du monde puissent savoir qui était ton fils.

María – Si tu écris tout, Jean, tu n’en finiras jamais. Quand le puits est profond, il y a toujours de l’eau à boire.

Oui, María avait raison. Marc, Matthieu, Luc et moi, nous avons écrit plein de choses sur Jésus. Mais si on devait tout écrire sur ce qu’il a fait, tous les livres du monde n’y suffiraient pas !

Jean 21,24-25

Commentaires :

Alors que de l’apôtre Paul nous avons des documents écrits par lui-même et qui nous sont arrivés intacts jusqu’à nous, nous n’avons pas une seule ligne écrite de la main de Jésus. C’est trente après sa mort que certains commencèrent à mettre par écrit ce que Jésus avait dit. Durant tout ce temps ses paroles et ses actes furent transmis de bouche à oreille. Les communautés qui l’avaient connu personnellement les commentaient et les transmettaient à d’autres qui étaient intéressés et voulaient savoir quelque chose sur le fameux prophète. Hors des frontières d’Israël, il fallait absolument traduire en grec les paroles de Jésus, car c’était la langue la plus commune dans tout le monde connu de l’époque. En passant de l’araméen au grec, les paroles de Jésus variaient un peu. Il y a des paroles en araméen qui ne trouvent pas de traduction en grec et inversement. C’est pourquoi on ne peut pas prendre à la lettre tout ce qui est écrit dans les quatre évangiles comme des paroles sorties telles quelles de la bouche de Jésus.

Dans les premières années on se contenta de la tradition orale. On transmettait par la parole ce qui avait été la bonne nouvelle annoncée par Jésus et c’était suffisant. Les premiers chrétiens n’étant pas des gens “de lettres”, on ne pensa pas à écrire. Mais quand les communautés se répandirent dans d’autres pays ou quand les disciples et les hommes et les femmes de la première génération chrétienne moururent les uns après les autres, on commença à penser qu’il était urgent de pouvoir conserver ce qu’ils avaient vu et entendu de Jésus. C’est ainsi que naquirent les évangiles. Il y en eut bien plus que les quatre qui apparaissent dans la Bible, mais certains textes étaient pleins d’histoires “merveilleuses” et bizarres, essayant de donner à la figure de Jésus des dimensions gigantesques, d’autres n’étaient pas fidèles à la première tradition, car ils falsifiaient ce qui s’était passé, exagéraient ou changeaient les faits. C’est les premières communautés chrétiennes qui décidèrent que de tous ces écrits seuls les quatre évangiles qu’on lit aujourd’hui dans la bible étaient valides.

“Evangile” est le mot grec qui à l’origine signifiait le pourboire qu’on remettait au messager qui apportait à quelqu’un une bonne nouvelle. Plus tard, le mot finit par signifier la bonne nouvelle elle-même. Les évangiles – les bonnes nouvelles de Jésus – ne sont pas des biographies, car elles ne prétendent pas raconter tout simplement la vie d’un homme important, ses faits ou sa psychologie. Si tel avait été le cas, ils seraient très incomplets. Ce ne sont pas non plus des livres de “mémoires” pour conserver vivant le souvenir d’un grand personnage. Ce ne sont pas non plus des pamphlets qui chercheraient à enthousiasmer le public par la doctrine d’un maître, un mage ou un philosophe. A cette fin, ils seraient trop secs et trop répétitifs. Fondamentalement, ils ont été écrits pour que les communautés chrétiennes aient la foi en Jésus et pour que, à partir de cette foi, elles s’engagent sur le chemin qui a été ouvert par lui.

Les évangiles sont essentiellement des schémas de catéchèse, de l'”évangélisation”. Ils s’appuient naturellement sur ce que Jésus a dit et fait, mais qui soulignent ce qui pourrait le plus la communauté, passent sous silence ce qui n’a pas d’intérêt pour cet objectif et même “créent” des épisodes ou complètent d’eux-mêmes certains événements, s’appuyant plus sur la lettre, sur l’esprit de Jésus. Ceci explique pourquoi les quatre évangiles ne sont pas identiques, pourquoi il y a des histoires qui n’apparaissent que dans l’un ou l’autre mais non dans tous, pourquoi certains racontent une scène avec de nombreux détails et que d’autres non. Ce n’est pas non plus une seule personne, Matthieu, Marc, Luc ou Jean, qui a écrit le texte intégral de chacun des évangiles. Attribuer à chaque auteur un évangile indique à quelle tradition appartient chaque texte, dans quelles communautés, cet évangile a surgi, quelle en a été l’école, l’enseignement qui a été transmis à ses lecteurs.

Aucun des premiers écrits des évangiles n’est arrivé jusqu’à nous dans l’état original où les auteurs les ont écrits. Les tout premiers exemples des évangiles ont été écrits sur des papyrus, du papier fait de feuilles de plantes aquatiques, qui ne se conservent que sous des climats secs et chauds. En passant de main en main et de pays en pays, ces papyrus se sont abimés et se sont perdus définitivement. Entretemps, on avait fait des copies et de nombreuses copies, augmentant la possibilité d’erreurs, et ce sont ces copies qui sont parvenues jusqu’à nous. Quand, après quatre cents ans on utilisa le parchemin, fait de peau d’animal, ce problème commença à trouver une solution. Aujourd’hui on conserve plus de soixante-dix petits morceaux ou même des pages presque entières des premiers papyrus. Des parchemins il y en a beaucoup plus d’origine.

L’évangile de Marc est le plus ancien des textes évangéliques. Depuis le 2ième siècle on l’attribue à Marc, l’ami de Pierre. Et c’est pourquoi on a entendu dire que Marc avait écrit dans son texte les catéchèses que donnait Pierre et celles qu’il fit lui-même en tant qu’interprète. Il fut écrit vers 30 ou 50 après la mort de Jésus en langue grecque. Marc utilisa un grec très primitif, moins orné et plus simple que celui des autres. Son texte est le plus spontané de tous, le moins “pensé”. L’évangile de Marc a servi de base à celui de Matthieu et de Luc, plus soigneusement élaboré. Il est centré sur le récit de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus et tout le début de l’évangile est une préparation afin d’arriver à ce point essentiel. La vie de Jésus n’apparaît pas comme celle d’un homme qui avait tout planifié d’avance. Et, en cela, l’histoire qu’il raconte est plus dramatique.

Depuis l’année 140, on attribue le premier évangile à Matthieu, le publicain qui recouvrait les impôts à Capharnaüm. On pense qu’il a été écrit entre 75 et 90 ans après la mort de Jésus. En analysant le texte, on découvre la main d’un Juif qui connaissait bien la langue grecque et qui avait une formation en lettres, un homme comme a été Matthieu. Le texte a été écrit après celui de Marc, et s’appuyant en grande partie sur lui. Il a perfectionné le style plus brut littérairement de Marc et ajouté quelques documents nouveaux. Plus de la moitié de ce que raconte Matthieu n’apparaît pas chez Marc. Même si le grec de Matthieu est beaucoup plus culte et soigné que celui de Marc, on note continuellement des tournures de la langue araméenne. L’évangile de Matthieu a été écrit en grec mais s’adresse à des communautés de culture juive. C’est pourquoi Matthieu se réfère fréquemment aux textes de l’Ancien Testament et donne tant d’importance à ce qu’avaient annoncé les prophètes d’Israël. Tout l’évangile cherche à convaincre les lecteurs que Jésus est bien le Messie attendu par le peuple israélite durant des siècles. Matthieu est le plus intéressé par les thèmes “juifs” : les polémiques avec les pharisiens et les scribes, la critique du nationalisme juif, la loi, les rites. Son écriture est combattive contre le racisme et le légalisme de ses compatriotes. C’est un texte très catéchétique. Matthieu, plus que de raconter avec exactitude ce qui s’est passé, explique les enseignements que la communauté pouvait sortir de chaque événement. C’est pourquoi, il cherche toujours “la morale” et, en toute liberté, l’ajoute, mettant dans la bouche de Jésus, pour lui donner plus d’autorité encore, ce qu’il veut enseigner aux chrétiens qui le lisent.

Vers la fin du 2ième siècle qu’on attribuait déjà le texte du troisième évangile à Luc, un médecin ami de Paul (Colossiens 4, 14) et qui fut l’auteur aussi du livre des Actes des Apôtres. L’évangile de Luc a été écrit plus ou moins à la même époque que celui de Matthieu. Il ne s’adresse pas à des Juifs. C’est une catéchèse écrite pour les païens, pour des étrangers, pour des gens d’une culture et d’une mentalité grecques. C’est pourquoi Luc laisse les thèmes au contour juif pour souligner beaucoup d’autres thèmes qui avaient à voir avec ce que vivaient les communautés auxquelles il s’adressait. La richesse de son vocabulaire et la liberté dans la construction des phrases indique qu’il dominait le grec beaucoup mieux que Matthieu et Marc. C’est un grand rédacteur, il a un plan quand il écrit, c’est le seul qui donne les “raisons” qui l’ont poussé à écrire au tout début de son texte (Luc 1, 1-4 et Actes 1, 1-2). Même s’il suit Matthieu et Marc, il a utilisé beaucoup de documents qui n’apparaissent pas dans les deux autres évangiles. Luc a voulu faire une “histoire du salut”, et c’est le seul qui parle de Jésus “sauveur”. Il s’intéresse à souligner les éléments sociaux et humains qui rendront possibles, à partir de Jésus, une histoire et un homme nouveau. Son évangile et le plus social. Il fait toujours un portrait fort et dur des puissants et des exploiteurs des pauvres.

L’évangile de Jean a toujours été considéré comme totalement distinct des trois autres. Il a été écrit plus ou moins en même temps que celui de Matthieu et de Luc, vers 75 ou 90 après la mort de Jésus. Tout semble indiquer que son auteur a été témoin direct de la vie de Jésus, par l’abondance de petits détails exacts qu’il est le seul à posséder. On attribue à Jean, le fils de Zébédée, pêcheur de Capharnaüm, d’être très probablement le rédacteur de ce texte, même s’il a pu être aussi celui d’un disciple étroitement lié à lui. La tradition veut qu’il ait été écrit à Ephèse, où Jean aurait passé, avec María, la mère de Jésus, les dernières années de sa vie. En tout cas, l’auteur de cet évangile “pense” en araméen, même s’il écrit en grec. Et les lecteurs à qui il s’adresse sont à la fois des Juifs qui connaissent bien l’environnement de la Palestine et des étrangers à qui il faut expliquer en détail ce qui leur était totalement inconnu quand il parle des coutumes juives. Jean est celui qui cite le moins l’Ancien Testament, mais, il est profondément influencé par les textes des Ecritures, les prophètes et l’histoire de l’Exode. Dans cet évangile il n’y a pas comme dans les trois autres, de diversité de thèmes. Il n’y en a qu’un, développé de différentes manières : Jésus est la révélation définitive de Dieu à l’humanité.