5 – EST-CE DIEU QUI A MIS EN PLACE LES AUTORITES?
Journaliste – Chers amis de Radio Amérique Latine, nous voilà encore ensemble pour assister à un nouveau débat entre nos deux protagonistes de la foi chrétienne. Deux figures aux idées différentes, voire contraires, sur Jésus-Christ, sans doute, le personnage le plus influent de la culture religieuse occidentale. Dans ces émissions, nous voulons aborder des thèmes sociaux, le genre, les droits humains… Aujourd’hui, c’est le moment de parler de politique. Oui, de politique. Saint Paul, vous vous êtes mêlé de politique… n’est-ce pas ? Je ne me trompe pas ? Bienvenue dans nos studios.
Paul – Merci, mais je ne sais pas de quelle politique vous voulez parler, monsieur le journaliste. Pour ma part, j’ai fait connaître le mystère de la volonté divine qui consiste à réunir toutes choses, celles du ciel et celles de la terre, sous une seule autorité, celle du Christ.
Journaliste – Et bienvenue à vous aussi, Marie Madeleine, la femme qui a côtoyé Jésus de près et qui a connu mieux que personne ses idées politiques.
Marie – Merci Jean-Louis, mais dites-moi de façon plus claire ce que vous entendez par idées politiques.
Journaliste – Je veux parler des relations de Jésus et de ses disciples avec les autorités politiques. C’est le thème et c’est le problème.
Paul – Je vois bien le thème, je ne vois pas où est le problème. On m’a raconté que Christ, Seigneur, a dit au gouverneur Pilate : Mon Règne n’est pas de ce monde. Les choses de ce monde ne doivent pas nous préoccuper.
Marie – Mais, que dites-vous, don Pablo ?
Journaliste – Connaissez-vous cette phrase de Jésus, Marie Madeleine, “mon royaume n’est pas de ce monde” ?
Marie – Evidemment que je la connais. Dans notre communauté, nous la répétions souvent.
Journaliste – Et le Royaume de Jésus-Christ est de ce monde ou pas ?
Marie – Non, il ne l’est pas. Il n’est pas de ce monde et n’est pas lié aux rois de ce monde. C’est le Royaume des pauvres. Jésus voulait transformer le monde ; niveler, égaliser, combler les vallées, abaisser les collines, comme disait le prophète Jean. Faire descendre ceux d’en haut et relever ceux d’en bas, comme le disait sa mère Marie dans ses prières.
Paul – Tiens, revoilà l’agitatrice…
Journaliste – Il y a une de vos phrases, Paul, sur les autorités politiques, qui a été utilisée à l’envi… Vous voulez l’écouter ?… Magali, s’il te plaît…
Magali – Chacun doit, dans cette vie, se soumettre aux autorités. Il n’y a pas d’autorités qui ne viennent de Dieu, et les responsabilités publiques existent de par la volonté de Dieu. Par conséquent, celui qui s’oppose à une autorité se rebelle contre un décret de Dieu, et aura à répondre de sa rébellion.[1]
Marie – Comment ça ? Ai-je bien entendu ou… ? Vraiment, vous avez écrit ça, don Pablo ?
Paul – Oui, j’ai écrit ça et je le confirme. J’ai envoyé cette lettre à la communauté de Rome.
Marie – Et c’est le comble, aux frères de Rome qui en plus de ça avaient Néron comme empereur, le plus canaille de toutes les canailles !
Paul – Ecoutez, sans obéissance aux autorités, il n’y a plus de paix sociale.
Marie – Mais, de quelle paix parlez-vous, don Pablo ? Jésus a dit qu’il n’était pas venu apporter la paix, mais l’épée.
Paul – N’exagérez pas, femme épouvantail… Pour que la religion avance, il vaut mieux se mettre bien avec les autorités politiques.
Marie – Mais, comment pouvez-vous dire ça ? Si Moïse avait fait cas de ça, nos aïeux seraient encore en Egypte… Et les Maccabées rebelles ? Et tous les patriotes de notre peuple ?
Paul – On peut bien convenir d’une chose, Marie Madeleine… Les rois, les gouverneurs ont-il été mis à leur place par Dieu, oui ou non ?
Marie – Par le diable, oui. Dites-moi, don Pablo, qui avait autorité en Israël quand vous et moi y vivions ? Le tétrarque Hérode Antipas, aussi cruel que son père, qui ordonna de couper la tête de Jean le Baptiste. Mis en place par Dieu ? Fallait-il lui obéir ?
Paul – Je crois que vous exagérer…
Marie – J’exagère, j’exagère… mais je suis en dessous de la réalité… Savez-vous ce que Jésus disait des rois de ce monde ? Il parlait d’Hérode comme d’un renard et ne lui adressait pas la parole. Il appelait les chefs des nations des tyrans. Et il disait que les chefs religieux étaient des fils de pute… Non, ne poussez pas ces hauts cris, c’est comme ça que Jésus les appelait, des fils de pute. Et pardon pour les putes, je n’ai rien contre elles…
Journaliste – La loi de la communication nous interdit de dire des gros mots…
Marie – Mais c’est ainsi que Jésus parlait des autorités… Des fils de la prostitution, une race de vipères… C’est pour ça qu’ils l’ont tué, parce qu’il se rebellait contre les autorités injustes… Si Jésus vous avait suivi, don Pablo, il serait mort dans son lit, ils ne l’auraient pas tué. Et vous, vous seriez toujours à cheval…
Paul – Allons, Marie Madeleine, pas d’injures.
Journaliste – Alors, Marie Madeleine, dites-vous que Jésus était un rebelle face au pouvoir ?
Marie – Toujours. Jusqu’à la fin. Jusque sur l’écriteau qu’on a cloué sur la croix : Exécuté pour rébellion.
Paul – On m’a dit à moi que le Christ a dit : “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu”.
Marie – C’est ce qu’on vous a dit, mais moi, j’étais là. On ne vous a pas bien rapporté ce que Jésus avait dit : Je m’en souviens très bien. Les autorités étaient venues lui tendre un piège, ils avaient une pièce de monnaie où était gravée la tête de l’empereur romain…
Un scribe – Notre pays est sous la domination romaine. Tous les habitants d’Israël sont sous la domination de César de Rome.
Jésus – Toi, peut-être, moi non. Je ne plie pas le genou devant ce Tibère ni devant aucun homme.
Un pharisien – Tibère est le César. Et le César est l’autorité suprême sur la terre.
Jésus – Tibère est un homme comme toi et moi. Et la seule autorité vient du ciel. Le seul chef, le seul empereur, c’est Dieu. Il n’y en a pas d’autre. Et personne au monde n’a le droit de se faire appeler roi ou père parce qu’il n’y a qu’un seul père, celui d’en haut, et tous les autres sont frères, et nous avons tous la même valeur.
Marie – Et c’est là qu’ils ont commencé le même couplet que vous nous chantez, don Pablo…
Le scribe – Comment peux-tu parler ainsi ? Les gouvernements sont mis en place par Dieu. Les gouvernants sont la voix de Dieu pour le peuple.
Jésus – Allons, allons ! Ecoute-moi bien, ceux qui gouvernent ici ne font qu’abuser du peuple et lui imposer des charges toujours plus lourdes pour sucer le peu d’argent qui nous reste ! Et ils ont encore le toupet de se dire les bienfaiteurs du pays !
Le scribe – Mesure tes paroles, Nazaréen. Celui qui se rebelle contre César se rebelle contre Dieu.
Jésus – Au contraire, camarade : celui qui se dit l’ami de César devient l’ennemi de Dieu. On ne peut pas servir deux maîtres. On est pour Dieu ou pour César !
Journaliste – Pour Dieu ou pour César ?… Nos auditeurs se rendent-ils compte qu’il y a là deux positions opposées ? Je ne vois pas comment les rapprocher… Un auditeur peut-il nous venir en aide… Allô ? Qui êtes-vous et d’où êtes-vous ?
Un Chilien – Je suis Chilien… Je pose la question à Paul, que devions-nous faire, nous ? Obéir à Pinochet ou pas ?… Vous m’avez déçu, Paul. Je croyais que vous étiez apôtre de Jésus-Christ… En fin de compte, vous n’êtes qu’un vendu, un traître à l’évangile…
Journaliste – Un autre appel… C’est un thème très controversé… Dites, Allô ?
Une Argentine – Je suis d’accord avec le camarade qui a appelé du Chili… En Argentine, que devions-nous faire ? Obéir au général Videla, responsable avec les autres génocides de trente mille morts et disparus ?… Toute autorité vient de Dieu ! N’insultez pas Dieu, apôtre Paul !
Journaliste – Les lignes sont saturées… Des messages arrivent de tout le continent… Du Guatemala, où le gouvernement a massacré des milliers d’indigènes… On me rappelle le Nicaragua de Somoza… on me parle du plan Condor… Voilà des messages du Venezuela, de Porto-Rico, même d’Haïti, où les Duvalier en ont fait voir de toutes les couleurs… Allô, d’où appelez-vous ?
Une femme du Salvador – Du Salvador, la terre de monseigneur Romero. Savez-vous, Paul, qui est monseigneur Romero ?
Paul – Non, madame, je ne sais rien de cet homme…
La Salvadorienne – Ce serait bien que vous le connaissiez, vous changeriez votre point de vue. Savez-vous ce que disait monseigneur Romero aux soldats de notre pays ?
Romero – Je voudrais faire un appel, de manière toute spéciale aux hommes de l’armée… Frères, vous faites partie du même peuple que nous. Vous tuez vos frères paysans. Si un homme vous donne l’ordre de tuer, mieux vaut suivre la loi de Dieu qui dit : “Tu ne tueras pas.” Aucun soldat n’est obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Au nom de Dieu et au nom du peuple qui souffre et dont les cris montent jusqu’au ciel chaque jour, je vous en supplie, je vous en conjure, je vous ordonne, au nom de Dieu : arrêtez la répression !
La Salvadorienne – C’est pour avoir dit ça, pour s’être rebellé contre les autorités criminelles de notre pays qu’ils l’ont tué pendant qu’il célébrait la messe. Vous vous trompez complètement, Paul. Ceux qui se rebellent contre les autorités abusives sont des martyrs, des saints, comme monseigneur Romero.
Pablo – J’ai déjà dit que je ne connaissais pas cet homme…
La Salvadorienne – Il y en a un qui l’a bien connu, c’est votre homonyme, Jean-Paul II, le pape Jean-Paul II. Il pensait exactement comme vous. Il pensait qu’il faut être du côté des autorités, même si ce sont des assassins et tout ça “pour que la religion avance”.
Journaliste – Jean-Paul II a été canonisé…
La Salvadorienne – Un saint ? Lui qui a été pris en photo avec Pinochet, qui n’a rien dit sur Videla. Lui qui a tendu la main ici à Roberto d’Aubuisson, qui a fait tuer monseigneur Romero. Excusez-moi, Paul, mais on n’est pas obligé d’obéir aux autorités mauvaises, il faut lutter contre elles. Et je ne veux pas continuer, parce que… !
Journaliste – Je crois que c’est mieux comme ça. Ainsi se termine notre programme d’aujourd’hui sans autres appels… Je vous remercie, Paul et vous, Marie Madeleine. Nous sommes aussi sur le web et sur les réseaux sociaux, www.emisoraslatinas.net. Souvenez-vous que qui se pose des questions réfléchit ; qui n’a que des réponses, obéit. C’était Jean-Louis qui était avec vous.
[1] Romains 13, 1…