21 – FACE A FACE AVEC MARIE MADELEINE
Journaliste – Chers amis de Radio Amérique Latine, nous arrivons à la fin de ces débats, une initiative financée généreusement par des collaborateurs qui ont demandé à garder l’anonymat à cause des sujets pouvant entraîner des polémiques. Tout au long de ces vingt émissions, nous avons confronté les idées de Paul de Tarse, apôtre des païens avec celles de Marie Madeleine, compagne de Jésus. Nous avons terminé par une entrevue avec Paul, seul. Aujourd’hui, nous voulons parler avec Marie Madeleine, seule. Bienvenue.
Marie – Merci, journaliste Jean-Louis.
Journaliste – Avant de commencer, comment vous êtes-vous sentie dans ces débats avec saint Paul ?
Marie – Très bien. Même si, je dois vous l’avouer, je trouve que l’apôtre Paul est plus têtu que l’âne de Balaam. Quel homme entêté ! Malgré tout, je lui reconnais une vertu, une grande vertu.
Journaliste – Laquelle ?
Marie – Il a aimé Jésus de toute son âme… le “Christ” qu’il a lui-même inventé et tous ces titres qu’il lui a donnés, comme Premier-né, Seigneur des Seigneurs, Grand Prêtre… mais, oui, je le reconnais, Paul a été un passionné de Jésus. Le problème, c’est qu’il ne l’a pas connu. S’il l’avait connu, il serait devenu un homme tout autre…
Journaliste – Vous, vous l’avez connu. Et c’est de cela que je voudrais parler. Marie Madeleine, compagne de Jésus. Peut-être la personne la plus proche des pensées et des sentiments de ce prophète extraordinaire…
Marie – Je crois que oui… Bon, non, sa mère Marie a toujours été la première.
Journaliste – Racontez-moi. Quel caractère avait Jésus ? Impulsif, optimiste, téméraire ?… On le dépeint toujours comme doux et humble…
Marie – Humble, oui. Il ne s’est jamais cru au-dessus des autres. Il n’était ni roi, ni seigneur, ni rien de tout cela… Mais il n’était pas non plus en dessous des puissants. Et si on le cherchait, on le trouvait. Surtout, les pharisiens et les maîtres de la Loi. Quand ils le provoquaient, il avait les yeux étincelants… Je me souviens une fois, nous avions faim et nous avons commencé à arracher des épis de blé dans les champs d’un propriétaire. C’était un jour de sabbat. Les pharisiens nous ont vus et sont devenus furieux. C’est interdit, absolument interdit !
Journaliste – Et alors ?…
Marie – Alors, Jésus s’est fâché à son tour. Vous ne savez donc pas ce qu’a fait David et ses hommes alors qu’ils avaient faim ? Ils sont entrés dans la maison de Dieu et ont mangé les pains de l’autel. Il leur a dit : Le sabbat est fait pour les gens et non pas les gens pour le sabbat. Cela a été un terrible procès, je m’en souviens encore.
Journaliste – Il était véhément… doux aussi, non ?
Marie – A vrai dire, je n’aime pas ce mot-là, parce qu’on dirait “sot”… “doux comme un agneau”… Mais Jésus n’avait rien d’un agneau…
Journaliste – Certains théologiens disent que Jésus a pleuré. Mais on ne le voit jamais rire…
Marie – Comment peuvent-ils dire ça ? Mais si, Jésus riait beaucoup. Avec les gens, il était toujours de bonne humeur. Il adorait les blagues.
Journaliste – Les blagues ?…
Marie – Les blagues, les devinettes, les histoires… Quelle est la ressemblance entre le Royaume de Dieu et une petite graine de moutarde ?
Journaliste – Vous pensez aux paraboles ?
Marie – Je ne sais pas comment vous appelez ça… Il commençait toujours : “Il était une fois un semeur qui sortit semer sa semence… La, la, la… Certaines graines sont tombées entre les pierres… La, la, la… Et d’autres sont tombées près du chemin… Cui, cui, cui, les oiseaux les ont mangées… Il changeait de voix et imitait le cri des oiseaux, le vent… Et nous, bouche-bée, on écoutait, on riait… on comprenait tout…
Journaliste – Parlons de son physique. Comment était-il ?
Marie – Eh bien, il était…
Journaliste – Dans les films et les tableaux, on le présente toujours comme un grand blond aux yeux bleus et la peau blanche comme le lait…
Marie – Ils ont dû en connaître un autre qui portait le même nom… Parce que Jésus était bien brun, la peau brûlée par le soleil de Galilée… Il était barbu et de beaux yeux noirs brillants comme du jais…
Journaliste – Il ressemblait à sa mère ?
Marie – Il avait de sa mère, oui. Marie était très jolie, un peu petite, mais une très belle fille. Comme la noire du Cantique des Cantiques.
Journaliste – Qu’est-ce que Jésus aimait manger ?
Marie – Bon, il mangeait comme tous les pauvres. Des dattes, du pain noir… des olives… Il adorait particulièrement les lentilles que sa mère préparait là-bas à Nazareth… Il s’en léchait les doigts…
Journaliste – Il y avait quelque chose qu’il aimait spécialement ?
Marie – Il aimait beaucoup aller aux noces. Quand des voisins se mariaient, il ne loupait pas l’occasion. Il disait toujours que le Royaume de Dieu ressemble à la joie des jeunes mariés quand ils sont sous le voile… Et aux noces, il dansait beaucoup, tant qu’il pouvait…
Journaliste – Jésus dansait ?
Marie – Jusqu’à n’en plus pouvoir. Vous l’auriez vu aux noces de Cana… Jésus faisait bien la roue, comme tous ses frères.
Journaliste – Il faisait du sport ?
Marie – Je ne sais pas… quelle question !…
Journaliste – Je veux dire, un jeu… A quoi jouaient les enfants de son âge à l’époque ?
Marie – Bon, les filles jouaient à la poupée, avec des poupées que nos parents fabriquaient. Les hommes jouaient au moulin… au roitelet…
Journaliste – Au roitelet ?
Marie – Oui, on bandait les yeux d’un enfant… et les autres venaient le pincer, lui donner des claques… et celui qui avait les yeux bandés devait deviner qui l’avait frappé… Vous savez, Jean-Louis, c’est la vie, ce jeu, la moquerie, la cruauté… d’ailleurs les soldats romains ont joué à ça dans les basses-fosses de la Tour Antonia… On nous l’a raconté après… Je ne veux pas m’en souvenir.
Journaliste – Changeons de sujet. Jésus aimait-il prier ?
Marie – Oui, mais, comme je l’ai déjà dit, jamais dans le temple ou la synagogue. Il priait dans la montagne. Il priait à la lueur de la lune, quand le ciel était tout parsemé d’étoiles…
Journaliste – Et le notre Père ?
Marie – Oui, c’est la prière qu’il nous a enseignée…
Journaliste – J’ai une surprise pour vous, Marie Madeleine. Un ami de Radio Amérique Latine parle l’araméen et nous a enregistré le Notre Père en araméen…
Marie – C’est vrai ?
Journaliste – Vous voulez l’écouter ?
Marie – Oui, s’il vous plaît, cela me rappellera tant de souvenirs…
Journaliste – Alors, écoutez…
NOTRE PERE… (en araméen)
Marie – J’en ai les larmes aux yeux… Même la voix lui ressemble…
Journaliste – Maintenant, Marie Madeleine, parlez-nous de vous…
Marie – De moi… Que voulez-vous que je vous dise ?
Journaliste – Quand avez-vous connu Jésus ? Comment l’avez-vous connu ?
Marie – A Capharnaüm. Il y a eu une grande sécheresse et beaucoup sont venus demander conseil à Jésus, car il était déjà renommé à l’époque… Moi, je venais d’adhérer au mouvement. Je suis venu à pied de Magdala parce que le bruit courait qu’un Nazaréen parlait comme Jean-Baptiste… De Nazareth, il ne peut rien sortir de bon, me suis-je dit. Mais, par curiosité…
Journaliste – Et ?…
Marie – Dès que je l’ai vu… Je ne le nie pas, je suis restée scotchée… Jésus était un homme très séduisant… Je suis tombée amoureuse dès le premier jour… comme Rachel quand elle a vu Jacob au puits…
Journaliste – Le coup de foudre, en le voyant ?
Marie – Disons plutôt en l’entendant… Ce sont ses paroles qui m’ont émue.
Journaliste – Et lui ?…
Marie – ça a pris un peu plus de temps… Mais un jour, il m’a fixée du regard… Et je ne détaille pas plus parce que l’amour, c’est comme les parfums qu’on garde bien enfermés pour que ça dure plus longtemps…
Journaliste – J’ai lu que Magdala, en ce temps-là, était la ville la plus importante de Galilée…
Marie – Oui, beaucoup venaient y vendre et acheter…
Journaliste – Certains disent que vous aviez pas mal d’économies et c’est avec cet argent que vous aidiez le mouvement de Jésus…
Marie – Non, j’avais ma boutique de poisson séché… Et quand nous allions à Bethsaïde ou à Corozaim, ou bien quand nous voyagions jusqu’à Tyr et Sidon, j’emportais un panier de poisson pour que tous puissent manger et je laissais ma boutique à ma sœur… On faisait tous la même chose, chacun apportait quelque chose et on partageait…
Journaliste – Sur certains tableaux, on vous peint comme une femme d’une certaine classe, habillée de soie, avec des bijoux…
Marie – D’une certaine classe ? Dans le mouvement, nous étions tous fait du même bois.
Journaliste – C’est-à-dire ?
Marie – On avait une tunique et une paire de sandales. C’était là notre richesse.
Journaliste – Vous nous avez dit que vous étiez mariée… Mais que votre mari était… disons que…
Marie – Mon mari était un démon. Ou plutôt il était comme sept démons.
Journaliste – Et alors, vous vous êtes séparée de lui…
Marie – Oui, Jésus m’a conseillé et je l’ai laissé. Je lui ai dit : Fiche le camp. Un homme qui bat une femme n’est pas un homme, c’est un pauvre type. Je l’ai même menacé avec mon couteau à éplucher les légumes. Il ne m’a jamais plus embêtée.
Journaliste – Et dans le groupe de Jésus, on vous a bien reçue ?… Parce qu’une femme divorcée était mal vue…
Marie – Dans le mouvement, il y avait de tout… Des hommes et des femmes, des veuves, des adultères, des arsouilles, il y avait même des prostituées qui avaient tout abandonné… Beaucoup de gens plutôt pauvres.
Journaliste – Passons à un sujet de fond… J’ai cherché et j’ai découvert qu’un évêque de Rome, Hippolyte, c’était son nom, au troisième siècle, vous a appelée “l’apôtre des apôtres”. Vous saviez ça ?
Marie – Comment pouvais-je le savoir, Jean-Louis ?
Journaliste – Eh bien, oui, c’est vrai, au troisième siècle… suis-je bête… En tout cas, il semble que… comment dire ?… C’est un bel hommage, non ? Il vous met au-dessus des douze apôtres, de Pierre, de Jacques, de Jean… et même de l’apôtre Paul, que vous avez connu durant ces débats. Alors, je vous demande, à quoi est dû cet éloge si remarquable ?
Marie – Je suppose que… je le dis sans me vanter… je suppose que c’est dû à ce que c’est moi qui ai secoué la fourmilière.
Journaliste – Je ne vous comprends pas.
Marie – Je vous ai déjà dit… Jésus mort, mis au tombeau, enveloppé dans un suaire. Nous autres… Nous autres, les femmes, nous l’avons ressuscité. Et j’ai été la première à courir vers les disciples et à leur dire : “J’ai vu Jésus !”
Journaliste – C’était difficile à croire…
Marie – Tout à fait. Parce que, chez moi, la parole des femmes n’avait pas beaucoup de poids. Dans un tribunal, on ne pouvait même pas être témoins. Mais c’est moi qui ai convaincu ces peureux. Ils doivent être reconnaissants parce que, si je n’avais pas parlé, sans les femmes, sans nous, le mouvement se serait éteint.
Journaliste – C’est donc comme ça que vous avez été la première apôtre, l’apôtre des apôtres.
Marie – Merci, Jean-Louis. Todah, dans la langue de mon peuple. Todah rabah.
Journaliste – Non, merci à vous, Marie Madeleine. Cela a été pour moi un énorme plaisir de parler avec vous, de vous connaître de près… Je comprends que Jésus soit tombé amoureux de vous… une femme si extraordinaire… Quelque chose à ajouter pour nos auditeurs ?
Marie – Oui, quelque chose encore. J’ai beaucoup aimé Jésus, beaucoup… je serais heureuse de savoir que parmi ceux qui ont écouté ces conversations, il y en ait à l’aimer comme moi. Et surtout, il faut poursuivre la lutte pour que les choses aillent bien, pour que le Règne de Dieu arrive. Je vous dis “au revoir” en araméen : Maranatha !
Journaliste – Et voilà, nous arrivons à la fin de nos émissions et de cette série de débats un peu polémiques. Pour ceux qui voudraient nous suivre en direct, vous nous trouverez sur notre page web www.emisoraslatinas.net. Et souvenez-vous que qui se pose des questions réfléchit ; qui n’a que des réponses, obéit. C’était Jean-Louis.