4 – LA JUSTICE DE DIEU

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Des gens de la terre de Judée, de la ville de Jérusalem et la lointaine Galilée venaient voir Jean-le-Baptiste. Après s’être repenti et avoir confessé leurs péchés, le prophète les baptisait dans les eaux du Jourdain. Mon frère Santiago et moi, Pierre et son frère André, Philippe, Jésus et Nathanaël étaient là aussi.

Le Baptiste – C’est le Seigneur qui m’a dit : Elève la voix comme une trompette et dénonce les péchés et les rebellions de mon peuple. Crie dans la campagne et dans les villes les injustices qui sont commises contre les pauvres ! Convertissez-vous au Seigneur ! Changez votre cœur et lui vous fera revivre !

Philippe – Ce prophète n’arrête pas de dire les mêmes choses. Je me demande comment il arrive à ne pas être fatigué. Cela fait deux heures que nous sommes là et vas-y que je te redis la même chanson.

Nathanaël – Chut ! Tais-toi, Philippe et laisse-moi écouter.

Philippe – Mais, Nata, moi, je m’ennuie…

Jacques – Ne fais pas l’idiot, Philippe. Il faut répéter souvent les mêmes choses pour que ça rentre dans la tête des gens.

Philippe – “Convertissez-vous, convertisses-vous”… Mais, que diable veut dire se “convertissez-vous. Je ne comprends pas.

Jean – Se convertir ça veut dire : changer. Et changer ça veut dire, détruire les Romains et les mettre dehors.

André – Allez, Philippe, demande au prophète ce qu’on doit faire pour se convertir. Il va te le dire. Jean aime bien que les gens lui posent des questions.

Philippe – André, tu crois ?

André – Bien sûr, enfin. Allez, va lui demander quelque chose.

Philippe – Eh ! Prophète de Dieu ! Prophète Jean !

Nathanaël – Philippe, sur la tête de ta mère à Bethsaïde, tais-toi. Ne va pas nous faire tout un ramdam.

Philippe – Il faut bien que je demande au prophète… Eh ! Prophète Jean !

Nathanaël – Tu vas encore faire une boulette comme d’habitude.

Le Baptiste – Qui m’a appelé ?

Pedro – C’est ce voyou qui est là, il veut vérifier quelque chose !…

Le Baptiste – Que veux-tu savoir, mon frère ?

Philippe – Jean, tu parles toujours de “se convertir”, de changer, de préparer le chemin de celui qui va venir. Mais, dis-moi, comment puis-je me préparer, moi ? Nous, les crève-la-faim, que pouvons-nous faire ? Que devenons-nous faire ?

Le Baptiste – Tout d’abord, la justice, tu comprends ? La justice !

Philippe – Explique-toi, prophète. Je ne suis qu’un pauvre maladroit et…

Le Baptiste – Combien as-tu de manteaux ?

Philippe – Quoi, que dis-tu ?

Le Baptiste – Je dis : combien as-tu de manteaux ?

Philippe – Bon, j’ai honte mais… je n’en ai qu’un chez moi et celui que j’ai là.

Le Baptiste – Tu en as deux. Tu en as un de trop. Donne-le à ceux qui n’en ont pas du tout. En Israël, il y a beaucoup de gens qui n’ont rien, pas même un chiffon pour se couvrir ! Tu veux que je te dise clairement ? Toi, celui d’à côté… Oui, ne te cache pas comme ça… Toi, combien as-tu de, de quoi vivre ! Malheur à celui qui tourne le dos à son frère parce qu’il tourne le dos à Dieu lui-même ! Malheur à ceux qui ferment leur porte à celui qui est en chemin, parce que ce passant, c’est le Messie, celui qui vient frapper à ta porte !

Jacques – Bien parlé ! C’est juste ce que nous disons, nous, les Zélotes ! Justice !

Philippe – Bon, Pierre, tu peux bien donner le manteau que tu as sur toi. Le prophète dit qu’il faut partager. Et il faut commencer par les amis, mon vieux. La bonne justice commence par ceux de la maison. N’est-ce pas, André ?

André – Cet homme est vraiment un prophète. Tous les prophètes d’avant parlaient de justice. La voix des prophètes est toujours la même

Nathanaël – Eh bien, moi je dis que donner la moitié de ce qu’on a… Moi, par exemple, j’ai un atelier et quatre outils, mais ce… ce n’est quand même pas être riche… J’ai juste ce qu’il faut pour…

Jacques – Ne te tracasse pas, Nathanaël. Les riches c’est les autres. Regarde-les ceux-là qui arrivent ! Bandes de traîtres !

Parmi les gens qui venaient jusqu’au bord du fleuve, il y avait deux hommes avec des turbans de soie. Un grand au visage tout variolé. Celui-là, on le connaissait moins. Par contre on savait plein de choses sur l’autre. Il s’appelait Matthieu et récupérait l’impôt dans notre ville, à Capharnaüm. Il boitait un peu et avait une barbe grise très courte et clairsemée. Comme toujours, il était un peu ivre. On détestait tous ce Matthieu parce qu’il n’était qu’un collaborateur des Romains.

Jacques – Traître à ta patrie ! Fiche le camp ! Fiche le camp d’ici !

Tous – Dehors ! A bas les traîtres ! Hors d’ici, ordures !

Jésus – Cet homme est saoul, non ?

Jean – Bien sûr, sans son vin dans les boyaux, il n’oserait pas se fourrer ici. Nous le connaissons bien, Jésus. Je peux t’assurer que dans tout le pays tu ne trouveras pas un type plus froussard que ce Matthieu.

Philippe – Ecoute, Jacques, tu me casses les oreilles. Arrête de crier comme ça, bon sang ! Que je sache tous les pécheurs ont le droit de venir ici, non ? Matthieu est peut-être le plus grand des bandits mais il a droit lui aussi à voir le prophète.

Jacques – Ce publicain n’a qu’un droit, celui de se faire pendre !

Matthieu et son compagnon parvinrent à s’approcher du bord. Jean était alors à baptiser des prostituées très maquillées. Matthieu attendit un peu qu’elles sortent de l’eau.

Matthieu – Prophète du Très Haut ! Nous avons entendu ce Galiléen te demander ce qu’il devait faire !

Tous – Dehors, traître à ta patrie, bande de traîtres !

Le Baptiste – Qui êtes-vous ?

Matthieu – Nous sommes juifs, mais… nous récupérons l’impôt pour les Romains. Que devons-nous faire ?

Le Baptiste – Ne vous salissez pas les mains en touchant plus que les lois ne demandent ! Les Romains ont mis sur le dos de notre peuple de durs impôts. N’augmentez pas ce fardeau en volant le peuple le peu qui lui reste. Les Romains ont piétiné nos terres. Ne rendez pas le joug plus pesant et plus oppressant que la main de l’étranger.

Matthieu – Et il y aura un salut pour nous aussi ?

Le Baptiste – Il y a un salut pour tous ceux qui le cherchent ! Celui qui vient après moi triera entre le bon grain de la paille. Il gardera le bon grain dans son grenier et la paille sera brûlée dans un feu qui ne s’éteint pas. Mais il est encore temps de changer ! Convertissez-vous et laissez-vous laver par l’eau qui purifie !

Les deux publicains s’approchèrent de l’eau. Matthieu vacillait quelque peu. C’était peut-être la peur et tout ce qu’il avait bu. Alors le prophète Jean les attrapa par les cheveux et les enfonça dans les eaux sales et chaudes du Jourdain où flottaient les péchés des prostituées, des pauvres, des usuriers, tous les grands et les petits péchés, toutes les fautes de notre peuple.

Un soldat – Maître ! Jean ! Nous voulons te parler !

Le Baptiste – Que voulez-vous ?

Le soldat – Tu as parlé avant des Romains. Nous sommes des soldats romains. Nous sommes venus te voir parce que ta parole est arrivée jusqu’à nos oreilles. Nous portons les symboles de ceux qui se sont emparés de notre pays mais nous voulons aussi être baptisés. Que devenons-nous faire pour être sauvés au jour de malheur ?

Le Baptiste – Le seul maître de ce pays et de tous les pays de la terre, c’est Dieu ! Vous êtes forts maintenant et vous frappez les faibles mais demain viendront des gens plus forts qui vous frapperont vous. Parce que les rois et les gouvernants de ce monde sont l’herbe. Elle est verte aujourd’hui mais demain elle sèchera et sera brûlée. L’unique roi, c’est Dieu ! L’unique loi, c’est Dieu ! Et la loi de Dieu c’est la justice !

Pierre – Attention, prophète ! Si tu continues à parler comme ça, ils vont te dénoncer à Pilate !

Le Baptiste – Le maître de toutes vie, c’est Dieu ! Ce n’est pas Pilate, ni Hérode, ni l’armée romaine ! Vous, soldats : ne menacez personne, n’accusez personne de ce qu’il n’a pas fait. Ne donnez pas de faux témoignage devant les tribunaux. N’usez pas de mensonge et n’abusez pas de votre épée. Conformez-vous à la paie qu’on vous donne et ne volez pas au pauvre, son toit ou son pain. Voilà ce que vous devez faire, soldats romains !

Philippe – Il me plaît ce prophète. Il me crie des choses à moi mais aussi aux Romains. Ce Jean est un type courageux.

Pierre – Bon, allons-nous-en. On en a entendu assez pour aujourd’hui. J’en ai assez des cris de ce Jean le Baptiste.

Jésus – Attends, Pierre. J’aimerais poser une question au prophète…

Pierre – Qui ? Toi ? Mais, Jésus, tu sais bien ce qu’il va te répondre : justice, justice et encore justice. Moi, je m’en vais.

Jésus – Attends un peu, Pierre. Jean ! Je voudrais te poser une question !

Le Baptiste – Parle, Galiléen, je t’écoute !

Jésus – Prophète Jean, je… je ne sais pas si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais…

Le Baptiste – Parle plus fort, on n’entend rien !

Jésus – Je disais que… Bon, tu dis : donnez l’aumône aux affamés. Tu dis : Ne volez pas en touchant les impôts. Tu dis : N’abusez pas de votre épée. Et c’est très bien, mais… ça ce sont les branches… non ? Où est le tronc ?

Le Baptiste – Que veux-tu dire par là ?

Jésus – Je veux dire que si les branches donnent de mauvais fruits, qu’on les émonde et qu’elles continuent à donner de mauvais fruits, c’est que le tronc est mauvais. Ce sont les racines qui sont mauvaises. Prophète Jean, que devons-nous faire pour arracher ces racines, pour qu’il n’y ait plus d’affamés à demander l’aumône, pour qu’il n’y ait plus de soldats à utiliser leurs épées, pour qu’il n’y ait plus de gouvernants à nous écraser d’impôts ?

Le Baptiste – Qui es-tu ?

Jésus – Je m’appelle Jésus. Je suis arrivé hier avec mes deux amis du nord. Je t’ai écouté parler et je te pose la question.

Le Baptiste – Je ne sais pas quoi te répondre. Un autre te répondra. Moi, je baptise dans l’au mais il vient quelqu’un qui baptisera dans le feu. Dans le feu et dans l’Esprit-Saint. Moi, je m’occupe d’émonder les branches. C’est lui qui arrachera l’arbre à la racine, qui brûlera les mauvaises branches et nettoiera tout le verger.

Jésus – Et qui est celui qui doit venir ? De qui parles-tu ?

Mais Jean ne répondit plus rien. Le vent commençait à souffler sur le bord du Jourdain. Les roseaux se penchèrent et les eaux formèrent des tourbillons, des grands et des petits. Jean, en haut du rocher, resta un instant à regarder au loin. Ses yeux brûlés par le soleil et assoiffés d’espérance cherchaient Quelqu’un à l’horizon, celui qui devait venir.

Luc 3,7-18

Commentaires :

1. La justice est un thème majeur dans toute la Bible. Que Dieu soit juste comme l’ont répété les prophètes, cela veut dire qu’il est libérateur, qu’il prend parti pour les pauvres et exige qu’on respecte le droit des opprimés, qu’il est droit, qu’il ne se laisse pas influencer par une parole trompeuse ou par un culte vide de sens. Connaître Dieu, en langage biblique est la même chose que dire aimer Dieu, c’est faire œuvre de justice (Jérémie 22, 13-16). La vraie religion est de reconnaître le droit des pauvres et établir des liens de justice entre les hommes (Isaïe 1, 10-18 ; Jérémie 7, 1-11).

2. Les publicains étaient des fonctionnaires de l’empire romain ou des autorités locales qui recouvraient les impôts. Ils en profitaient pour extorquer de l’argent aux pauvres.

3. On peut émonder les vieilles branches d’un arbre, mais si les racines sont pourries, il n’y a rien à faire. La question que Jésus pose à Jean le Baptiste le problème du péché structurel et du péché personnel. Le péché, l’injustice, n’est pas seulement un mal individuel qu’on peut corriger par une conversion individuelle. Il y a des situations et des structures de péché. Un régime économique qui produit de la pauvreté, de plus en plus de pauvres et, dans le même temps, de plus en plus de riches, est une structure de péché. Un régime politique qui ne fait pas la participation du peuple, qui se maintient grâce au crime et la corruption est aussi un péché institutionnel. Le message de Jésus, comme celui de Jean le Baptiste, n’appelait pas seulement à la conversion personnelle, il ébauchait un projet de transformation de la société.